Les pays les plus pauvres de plus en plus marginalisés

Dramatique la situation des pays les plus pauvres du monde! En 1990, ils n'étaient "que" quarante-deux. Cette année, ils sont quarante-huit. Seul le Botswana a pu s'extraire de la liste.

La population de ces "PMA" (pays les moins avancés) s'est accrue de 36%  en sept ans. Elle représente 13% des êtres humains recensés en 1997. En chiffres concrets, 780 millions d'hommes vivent en dessous du seuil de pauvreté, notion établie selon un calcul où la division du PIB par le nombre d'habitants est assortie de divers correctifs. La limite se situe au-dessous de 1'000 dollars par an. Dans la dernière décennie, ces pays ont été de plus en plus marginalisés. Leurs exportations ne représentent aujourd'hui que 0,4 % du commerce mondial et leurs importations 0,6 %; la baisse atteint 40 % par rapport aux années quatre-vingts. Comment pourront-ils jamais s'en sortir et procurer à leurs citoyens un emploi rémunérateur?

Les trois quarts de ces pays tirent l'essentiel de leurs revenus de l'exportation d'un seul produit agricole (cacao, banane, café, coton) ou minéral (cuivre, caoutchouc, nickel, etc.). La valeur ajoutée est faible, voire nulle. Ces pays n'attirent qu'1% des investissements mondiaux, ceux-ci se répartissent dans les pays où ils rapportent le plus, sans se soucier des secteurs de l'économie mondiale où ils seraient nécessaires. Pour l'essentiel, les PMA vivent - on devrait écrire "survivent" - pour 70% grâce à l'aide au développement accordée par les pays de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), traînant le fardeau de dettes extérieures dont ils demandent l'annulation lors de chaque conférence économique internationale.

Depuis le début de la décennie, les apports d'aide au développement ont chuté de 23%, alors que des budgets d'austérité devenaient la règle dans les pays "riches"; la moyenne de l'aide était de 0.09% en 1990, de 0.05% en 1997. La main sur le coeur, les pays "riches" s'étaient engagés il y a un quart de siècle à conserver 0.7% de leurs budgets aux pays en développement. Ils ont répété cette intention lors de la conclusion des accords d'Uruguay à Marrakech, afin que les fruits de la croissance soient "partagés" avec les pays les moins avancés. Le même couplet fut entonné à la conférence ministérielle de l'OMC (Organisation mondiale du commerce) de Singapour, avec comme seul résultat la réunion de plusieurs conférences internationales "à haut niveau".

Selon l'ONU, les deux tiers de la population du globe sont sous-alimentés. La plupart des agriculteurs des pays pauvres vivent de ce qu'on appelle "l'économie de subsistance". D'autres, mieux organisés ou plus chanceux, sont employés dans des plantations dont les revenus demeurent maigres, leur interdisant l'entrée dans l'économie globalisée dont on nous rebat les oreilles. La chute des cours des matières premières, tant agricoles que minérales, ne fait rien pour faciliter des investissements rentables dans le secteur agricole des pays pauvres. Soutenir la production agricole dans les PMA constitue pourtant la seule issue au drame de la misère "globale". A Seattle, la conférence de l'OMC sombra dans l'impasse quand elle abordera la question de l'accès aux marchés des pays occidentaux pour les produits agricoles du tiers monde. Les PMA ont insisté pour que la production agricole des pays "riches" cesse d'être subventionnée afin de permettre aux exportations d'outremer d'être compétitives et de leur assurer des débouchés. Après la réunion de la CNUCED à Bangkok, l'impasse demeure totale.

Les statistiques sur les revenus pétroliers font étrangement défaut. On sait que l'exploitation du pétrole et des minerais représente une part substantielle des revenus de vingt-cinq PMA. En 1997, la production de pétrole a été quatre fois supérieure à celle de 1986, l'augmentation provenant en grande partie de deux pays: l'Angola et le Yémen. En dix ans, l'extraction d'or a été multipliée par quinze, alors que la production de cuivre diminuait de 40 %. Aussi les institutions internationales suggèrent-elles la diversification des productions et des investissements sur place pour augmenter la productivité des exploitations minières.

Tel est le langage que l'on entend depuis des décennies, sans que rien semble avancer dans ce domaine. Le directeur de la Banque Mondiale, James Wolfensohn, a insisté avec force lors de la conférence de Bangkok pour que les pays "riches" s'engagent politiquement à soutenir les efforts des PMA. Une nouvelle conférence est prévue à Bruxelles à fin mai pour préciser les intentions des uns et des autres. Encore ne faudrait-il pas de nouvelles catastrophes humanitaires ou de sanglants conflits pour annihiler progrès et espoirs de lendemains meilleurs.


P. E. Dentan, Entreprise Romande, 10.03.2000
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