Nouvelle venue au seain de l'OMC, la Chine n'a pas préparé ses paysans à ce choc.
"L'OMC? PERSONNE NE NOUS A RIEN DIT"
L'agriculture chinoise est le secteur économique le plus exposé 'à la concurrence des multinationales et aux nouvelles règles économiques. Des millions d'emplois sont menacés. Les paysans ne sont ni informés, ni organisés pour y faire face.
Xi Hou et sa femme ont une cinquantaine d'années et ils retournent la terre à la main depuis qu'ils sont en âge de tenir une bêche. Sur leurs six minuscules parcelles de champs - 0,4 hectare en tout - ils cultivent du maïs, du blé, de l'orge ou du colza, plus rarement du riz. Deux récoltes par an. Juste de quoi se nourrir et vendre le surplus au marché pour un gain annuel de 800 yuans (160 francs). C'est un revenu moyen à Shigu, un bourg de la province du Yunnan, dans le sud-ouest de la Chine.
Le couple possède également un buffle, deux porcs et quelques volailles. L'OMC? Xi Hou en a entendu parler, mais il pense que cela ne le concerne pas. Le maïs qu'il produit coûte pourtant plus cher que celui vendu au cours international dont les prix se décident à Washington. Et les économistes chinois prévoient que l'une des principales conséquences de l'entrée de la Chine dans l'OMC sera la baisse des revenus céréaliers. «J'en ai aucune idée», lâche Xi Hou qui s'arrête enfin de piocher le sol. «Personne ne nous a jamais rien dit à ce sujet.»
A quelques kilomètres de là, dans un petit village de montagne à plus de 2000 mètres d'altitude, le terme d'OMC n'évoque plus rien aux populations locales composées de différentes ethnies (Naxi, Bai, Yi, Tibétains). Ici, le Yang-tse, la Salween et le Mékong jouent à cache-cache entre les pics enneigés. On est loin de Pékin, et encore bien plus de Doha ou de Genève, où se décide pourtant en partie leur avenir.
A l'échelle chinoise, ces agriculteurs se situent dans la moyenne inférieure de revenu. Us sont pauvres, mais ne connaissent pas la misère paysanne d'autres régions. Il y a trois ans, ils ont déjà subi un coup dur. Un décret du Parti communiste leur interdisait l'abattage du bois qui représentait jusqu'alors une importante source de revenu secondaire. Du coup, les seules entreprises de la vallée, une scierie et une papeterie, ont fermé. Menacée d'une catastrophe écologique majeure, la Chine réagit enfin pour tenter de protéger ce qui reste de son environnement naturel.
DU BLÉ AUX FLEURS
Le discours des autorités locales sur l'OMC n'en est pas moins porté par l'optimisme de règle distillé depuis Pékin. «L'OMC, c'est bon pour la Chine et c'est bon pour nous», estime un professeur d'école. «Tout le monde va en profiter, même les paysans d'ici.» Bien sûr, il faudra s'adapter et changer certaines habitudes. La stratégie est la suivante: diminution de la production de maïs et de blé et développement de produits locaux.
Au pied de la chaîne de l'Himalaya, la région bénéficie d'un climat favorable pour la production de fruits et de légumes. Mais l'on mise surtout sur des «niches», des produits traditionnels comme les herbes médicinales ou la culture des champignons du Yunnan, dont les vertus aphrodisiaques et les effets bénéfiques sur la santé sont réputés jusqu'au Japon.
Dans le district voisin de Huaping, par exemple, les agriculteurs ont vu leur revenu annuel augmenter de 200 yuans (40 francs) grâce à la récolte de l'igname de Chine. Les autorités parlent également de villages «sortis de la pauvreté» avec la production de la mangue, du bambou ou l'élevage de poulets. Et dans le sud de la province, le parti encourage depuis plusieurs années les paysans à cultiver des fleurs.
A Shigu, plutôt que de production de champignons, on rêve d'un autre type de reconversion grâce au tourisme. Phénomène tout nouveau en Chine, des familles paysannes proposent désormais un hébergement à la ferme. Et un tiers des 18000 habitants du bourg vivraient déjà directement ou indirectement du tourisme.
S'adapter ou mourir? En Chine, les concepts de chômage et de protection sociale ne s'appliquent qu'au milieu urbain. En l'an 2000, des sources officielles évoquaient une «main-d'oeuvre excédentaire» d'environ 180 millions. A ce chiffre s'ajoute une «population flottante» d'environ 100 millions d'individus. Ce sont les sans-papiers de la Chine, des ruraux émigrés en ville où ils sont cantonnés aux petits boulots, sans permis de résidence, donc sans aucun droit.
Frédéric Koller de retour du Yunnan
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