L'ONU va couper les vivres à la Sierra Leone

REPORTAGE Le Programme alimentaire mondial nourrit un demi-million de réfugiés par mois.

Appuyé sur ses béquilles, Francis Josiah observe en sueur le bon déroulement de la distribution hebdomadaire de vivres. Il essaie de mettre un peu d'ordre dans la cohue des enfants qui grapillent les grains échappés des sacs de céréales.

Président du camp de blessés de guerre de Grafton, près de Freetown, M. Josiah s'assure que chacun soit muni de sa carte de rationnement rose. Il demande qu'ils fassent correctement la queue devant les tas de maïs, de fèves et les bassines d'huile fournis par le Programme alimentaire mondial des Nations Unies (PAM).

Pour les 864 personnes du camp, des blessés et leur famille, les rations sont calculées au gramme près dans la bonne humeur des récipiendaires. Pour eux, c'est la seule source de subsistance, après dix ans de combats sanglants en Sierra Leone.

Ancien électricien de 46 ans, Francis Josiah a été blessé par balles aux deux jambes «le 14 juillet 1999», précise-t-il. Il indique que sa femme et ses quatre enfants «sont sortis sains et saufs du conflit, mais aujourd'hui on ne survit que grâce aux rations, car je ne peux plus faire grandchose pour les aider».

RATIONS REVENDUES

Une partie des rations reçues est souvent vendue sur les marchés. Cela permet aux familles d'agrémenter l'ordinaire avec un peu de poisson séché ou des légumes frais. «Le PAM soutient plus particulièrement 136 blessés de guerre dans ce camp, tous civils, et la plupart sont handicapés, sans maison et sont donc très vulnérables», explique Aya Shneerson, coordinatrice des programmes d'urgence du PAM en Sierra Leone.

Comme ceux-là, des centaines de milliers de Sierra-Léonais attendent dans le plus grand dénuement leur réinstallation. Ils ne survivent souvent que grâce à l'aide humanitaire.

DEUX CAMPS FACE A FACE

A une quinzaine de kilomètres de Grafton, deux camps se font face sur l'ancienne piste d'atterrissage de la bourgade de Waterloo: l'un composé de déplacés, l'autre d'anciens réfugiés rentrés de Guinée.

Le camp de transit pour les «Guinéens» s'est vite transformé en structure durable, faute de moyens pour transporter les familles dans des camps de réfugiés. Cela pose certains problèmes. «Dans notre culture, c'est une abomination qu'une femme extérieure à votre famille prépare la cuisine pour vous», assène Stephen Koroma. Le vice-président du camp est installé devant la petite cantine enfumée où cuisent les rations du PAM pour tous les «retournés».

«Après deux ans en Guinée, je suis arrivé ici le 20 décembre 2000. On devait rester trois jours pour aller dans un camp de réfugiés avant d'être réinstallés, c'est trop! Nous voulons juste rentrer chez nous ou bénéficier des mêmes droits que les déplacés», explique-t-il.

Mais pour les ONG et le PAM «se pose le problème de la pérennisation des camps et du manque croissant de moyens», souligne Aruna Sesay, responsable des distributions du PAM. «Les réfugiés se plaignent toujours. Nous faisons ce que nous pouvons pour trouver des solutions de réinstallation auxquelles le gouvernement doit également prendre part», ajoute-t-il. Selon lui, la réinstallation ne sera possible que dans six à huit mois.

Le PAM distribue plus de 5000 tonnes de vivres par mois en Sierra Leone à une moyenne de 471 500 personnes. Il a déjà annoncé qu'il devrait revoir à la baisse ses opérations humanitaires en Guinée, au Liberia et en Sierra Leone s'il ne reçoit pas davantage de contributions des bailleurs de fonds internationaux en 2002.

Emmanuel Goujon

 

Nouvelle venue au seain de l'OMC, la Chine n'a pas préparé ses paysans à ce choc.

"L'OMC? PERSONNE NE NOUS A RIEN DIT"

L'agriculture chinoise est le secteur économique le plus exposé 'à la concurrence des multinationales et aux nouvelles règles économiques. Des millions d'emplois sont menacés. Les paysans ne sont ni informés, ni organisés pour y faire face.

Xi Hou et sa femme ont une cinquantaine d'années et ils retournent la terre à la main depuis qu'ils sont en âge de tenir une bêche. Sur leurs six minuscules parcelles de champs - 0,4 hectare en tout - ils cultivent du maïs, du blé, de l'orge ou du colza, plus rarement du riz. Deux récoltes par an. Juste de quoi se nourrir et vendre le surplus au marché pour un gain annuel de 800 yuans (160 francs). C'est un revenu moyen à Shigu, un bourg de la province du Yunnan, dans le sud-ouest de la Chine.

Le couple possède également un buffle, deux porcs et quelques volailles. L'OMC? Xi Hou en a entendu parler, mais il pense que cela ne le concerne pas. Le maïs qu'il produit coûte pourtant plus cher que celui vendu au cours international dont les prix se décident à Washington. Et les économistes chinois prévoient que l'une des principales conséquences de l'entrée de la Chine dans l'OMC sera la baisse des revenus céréaliers. «J'en ai aucune idée», lâche Xi Hou qui s'arrête enfin de piocher le sol. «Personne ne nous a jamais rien dit à ce sujet.»

A quelques kilomètres de là, dans un petit village de montagne à plus de 2000 mètres d'altitude, le terme d'OMC n'évoque plus rien aux populations locales composées de différentes ethnies (Naxi, Bai, Yi, Tibétains). Ici, le Yang-tse, la Salween et le Mékong jouent à cache-cache entre les pics enneigés. On est loin de Pékin, et encore bien plus de Doha ou de Genève, où se décide pourtant en partie leur avenir.

A l'échelle chinoise, ces agriculteurs se situent dans la moyenne inférieure de revenu. Us sont pauvres, mais ne connaissent pas la misère paysanne d'autres régions. Il y a trois ans, ils ont déjà subi un coup dur. Un décret du Parti communiste leur interdisait l'abattage du bois qui représentait jusqu'alors une importante source de revenu secondaire. Du coup, les seules entreprises de la vallée, une scierie et une papeterie, ont fermé. Menacée d'une catastrophe écologique majeure, la Chine réagit enfin pour tenter de protéger ce qui reste de son environnement naturel.

DU BLÉ AUX FLEURS

Le discours des autorités locales sur l'OMC n'en est pas moins porté par l'optimisme de règle distillé depuis Pékin. «L'OMC, c'est bon pour la Chine et c'est bon pour nous», estime un professeur d'école. «Tout le monde va en profiter, même les paysans d'ici.» Bien sûr, il faudra s'adapter et changer certaines habitudes. La stratégie est la suivante: diminution de la production de maïs et de blé et développement de produits locaux.

Au pied de la chaîne de l'Himalaya, la région bénéficie d'un climat favorable pour la production de fruits et de légumes. Mais l'on mise surtout sur des «niches», des produits traditionnels comme les herbes médicinales ou la culture des champignons du Yunnan, dont les vertus aphrodisiaques et les effets bénéfiques sur la santé sont réputés jusqu'au Japon.

Dans le district voisin de Huaping, par exemple, les agriculteurs ont vu leur revenu annuel augmenter de 200 yuans (40 francs) grâce à la récolte de l'igname de Chine. Les autorités parlent également de villages «sortis de la pauvreté» avec la production de la mangue, du bambou ou l'élevage de poulets. Et dans le sud de la province, le parti encourage depuis plusieurs années les paysans à cultiver des fleurs.

A Shigu, plutôt que de production de champignons, on rêve d'un autre type de reconversion grâce au tourisme. Phénomène tout nouveau en Chine, des familles paysannes proposent désormais un hébergement à la ferme. Et un tiers des 18000 habitants du bourg vivraient déjà directement ou indirectement du tourisme.

S'adapter ou mourir? En Chine, les concepts de chômage et de protection sociale ne s'appliquent qu'au milieu urbain. En l'an 2000, des sources officielles évoquaient une «main-d'oeuvre excédentaire» d'environ 180 millions. A ce chiffre s'ajoute une «population flottante» d'environ 100 millions d'individus. Ce sont les sans-papiers de la Chine, des ruraux émigrés en ville où ils sont cantonnés aux petits boulots, sans permis de résidence, donc sans aucun droit.

Frédéric Koller de retour du Yunnan


La Liberté 19 novembre 2001
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