Angola

Selon les Nations unies, la situation du pays est « l'une des pires au monde ». Jusqu'à 3 millions de personnes auraient besoin d'une aide d'urgence.

 

Médecins sans frontières accuse l’ONU et Luanda d’une « inertie inacceptable » face à la crise.

Alors que la famine ravage l’Angola, les querelles déchirent les organisations humanitaires.

Il y’a des privilèges sinistres. Celui de Bimbe est d'avoir deux cimetières. Non pas que le village, sur les hauts plateaux du centre de l'Angola, soit bien important : il ne compte guère plus de 5’000 à 6’000 âmes. Mais la vie n'y vaut pas cher, comme en témoigne le nombre de tombes à la terre fraîchement remuée. Des tombes aussi démunies que les habitants du village. Avec pour tout ornement une bouteille de plastique piquée d'une herbe ou d'une fleur, et pour tout souvenir une croix minuscule marquée d'un nom et d'une date.

Ce que les cimetières de Bimbe racontent à leur façon, on le retrouve dans les documents des Nations unies. « La situation humanitaire en Angola est l'une des pires dans le monde. Quatre millions de personnes au moins sont dans une situation très précaire. La survie de près de 2 millions d'entre elles dépend de l'assistance internationale. Même si la fin de la guerre a conduit à une baisse des déplacements de populations, la situation reste globalement critique et le nombre de personnes qui auront besoin d'une assistance d'urgence au cours des prochains mois va grimper jusqu'à 3 millions », estime un rapport adressé, il y a quelques jours, par les Nations unies aux pays riches, invités à financer l'effort humanitaire des agences de l'ONU et de la centaine d'organisations non gouvernementales (ONG) présentes en Angola.

Selon le document, la conduite des opérations humanitaires d'ici à la fin de l'année suppose de mobiliser 141 millions de dollars, dont près de la moitié pour répondre aux seuls problèmes alimentaires. Jusqu'à présent, note le document, la communauté internationale n'a fourni que le tiers des besoins pour l'année 2002.

Le chiffre de 3 millions de personnes qui ont besoin d'une « assistance d'urgence » résulte d'un calcul complexe. Il inclut 1,9 million d'Angolais qui étaient plus ou moins pris en charge par le système de l'ONU avant même la signature, le 4 avril, du cessez-le-feu. S'y ajoutent : 250’000 personnes installées dans des centres à proximité des camps de cantonnement de l'ex-rébellion de l'Unita ; 80’000 réfugiés retournés d'eux-mêmes en Angola ; enfin, 800’000 personnes disséminées dans des « zones grises » auxquelles nulle organisation internationale n'avait eu accès jusqu'à présent du fait de la guerre.

Ces centaines de milliers de déplacés, en quelque sorte, n'existaient pas auparavant. C'est leur découverte, rendue possible par le cessez-le-feu, qui a révélé la situation humanitaire en Angola. Il n'en reste pas moins que le chiffre de 800 000 est une estimation très grossière. Il a été avancé début juin, lors d'une réunion à Luanda entre les organisations de l'ONU et les ONG présentes en Angola, selon un participant qui le juge peut-être surévalué. En fait, il est probable que le drame humanitaire, pour l'essentiel, a déjà eu lieu. Il se serait joué au cours des derniers mois, avant la conclusion du cessez-le-feu. Les populations que l'on découvre actuellement seraient les rescapées d'une catastrophe que les instances internationales ont ignorée ou feint d'ignorer. Le fait que la tranche d'âge de 0 à 5 ans soit statistiquement sous-représentée au sein des populations prises en charge par les ONG confirme que les enfants en bas âge ont été les principales victimes.

C'est dans ce contexte que Médecins sans frontières (MSF), une ONG présente en Angola depuis près de dix ans, a accusé, il y a quelques jours, le gouvernement angolais et les agences de l'ONU d'avoir fait preuve d'une « inertie inacceptable » pour répondre aux besoins de la crise. MSF accuse les Nations unies de « n'avoir pas pris la mesure de la gravité de la crise ». Est particulièrement visé le Programme alimentaire mondial (PAM). MSF lui reproche d'avoir réduit les rations alimentaires dans certaines zones, de se hâter lentement dans d'autres provinces et d’être absent ailleurs. « Si les autorités angolaises, les agences des Nations unies, et spécialement le PAM, les pays bailleurs de fonds et les instances diplomatiques ne se rassemblent pas pour accroître les programmes d'aide, des centaines de milliers de personnes courent le risque de mourir de faim ou de maladie », a prévenu le président de MSF International, Morten Rostrup.

Venant d'une organisation caritative dotée d'une image très positive (elle a reçu en 2000 le Prix Nobel de la paix), cette prise de position a suscité des remous à Luanda. Le régime aurait songé, selon certaines sources, à utiliser une loi récente pour mettre un terme aux activités de MSF en Angola. Quant aux Nations unies, elles ont rejeté l'accusation d'« indifférence ». Elle est « incorrecte », a répliqué un responsable de l'ONU. En privé, ces derniers ne se gênent pas - à l’unisson de certaines ONG - pour critiquer « l'arrogance » de MSF. L'Angola est aussi devenu l'objet de querelles entre humanitaires.


Jean-Pierre Tuquoi, Le Temps, 21.06.2002
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