Des centaines de réfugiés veulent gagner Londres. La vague afghane s'arrête à Sangatte.

Ils sont à Calais et ils n'ont qu'un désir: prendre un ferry ou l'Eurotunnel pour gagner l'Angleterre. En attendant, mille réfugiés logent dans un hangar de Sangatte. Des bagarres très dures viennent d'opposer Kurdes et Afghans.

Sous un ciel d'ardoise, ils marchent sur les bas-côtés de la route. Emmitouflés tant bien que mal dans des vêtements de fortune, ils vont seuls, par petits groupes ou encore en famille. « Les familles préfèrent généralement tenter leur chance sur les ferries qui partent du port de Calais», explique Martine, permanente de la Croix-Rouge au centre pour réfugiés de Sangatte, dans le nord de la France.

«J'AI FUI LES TALIBANS»

En ce vilain jour d'automne, la pluie et le vent n'ont pas dissuadé les dizaines de migrants clandestins qui tentent chaque jour la traversée de la Manche, dans l'espoir de rejoindre une terre promise britannique. «La plupart d'entre eux reviendront bredouilles aux petites heures», souligne impassible Martine. «Ils repartiront le lendemain pour une nouvelle tentative». A Sangatte, les séjours ne s'éternisent pas.

Farouk a 21 ans, il vient de Mazar-e Charif, dans le nord de l'Afghanistan. «J'ai fui la guerre entre les ethnies et puis le régime des talibans», confie-t-il. Après un long voyage de 22 jours, dont il nous dira pas grand-chose sinon qu'il l'a fait en avion et en camion, il est arrivé à Sangatte seul et sans argent. Il ne rêve que d'une chose: l'Angleterre, «pour pouvoir travailler». Même leitmotiv chez Sekin, la quarantaine, qui a quitté Kaboul «parce que c'était devenu impossible pour une femme de travailler». Sekin nous affirme qu'elle est ingénieur en électricité impossible de vérifier son histoire, mais son regard rivé sur la Manche raconte l'essentiel. Aussi absurde soit-il, ce n'est que le train-train quotidien au centre de Sangatte. Posé au milieu de nulle part, l'énorme hangar de la Croix-Rouge abrite des bungalows - généralement attribués aux familles - et des tentes pour les hommes seuls. Quiconque se présente à l'entrée doit décliner son identité et reçoit couverture et place pour dormir. A part respecter les horaires de distribution des repas et du nécessaire de toilette, les réfugiés restent tout à fait libres de leurs allers et venues.

LA CROIX-ROUGE AMÈRE

Les barrières qui ceinturent le centre servent de sèche-linge plus qu'autre chose. Pas une prison donc, si ce n'est la pénible promiscuité qu'entraîne la vie en commun de plus de 1000 personnes, obligées de se partager une dizaine de toilettes, une vingtaine de douches et quatre cabines téléphoniques constamment occupées. «Ici, il faut faire la file pour tout», rigole Sekin.

«Le nombre de réfugiés ne cesse d'augmenter mais nous n'avons pas les moyens de nous adapter... » Un constat amer que la Croix-Rouge lâche du bout des lèvres excédée par le comportement de la presse-notamment britannique - qui a tenté de faire passer Sangatte pour une succursale de l'enfer et qui n'a pas hésité à payer les réfugiés pour obtenir des témoignages alarmistes».

UN HANGAR D'EUROTUNNEL

Claquemurée derrière le principe de «neutralité humanitaire», la Croix-Rouge ne nie pas que des coups de couteau se perdent parfois «au milieu de plus de 1000 personnes de nationalités quelquefois antagonistes obligées de cohabiter».

Sangatte date de 1999, quand les réfugiés kosovars affluent sur les côtes du Nord dans l'espoir de trouver un passage pour l'Angleterre. Démunis, ils se réfugient et dorment où ils peuvent, dans les gares, les jardins publics. Pour circonscrire ce désastre humanitaire, l'État français réquisitionne un hangar désaffecté de la société Eurotunnel - concessionnaire du tunnel sous la Manche - pour le transformer en camp humanitaire, et en confie la gestion à la Croix-Rouge. Le centre de Sangatte ouvre ses portes. Depuis, 30 000 réfugiés y sont passés.

Aujourd'hui, le centre ne suffit plus, mais la question de l'ouverture d'un nouveau camp d'accueil reste prudemment suspendue Elle fait plus nue gêner les autorités françaises qui doivent déjà composer avec le ras-le-bol des 800 habitants du village de Sangatte, excédés par la présence des réfugiés sur qui ils n'hésitent plus à lancer des pierres.

De quoi conforter les «indésirables» dans leur obsession de rejoindre le Royaume-Uni, malgré les efforts de quelques bénévoles pour qu'ils fassent une demande d'asile en France. «Les réfugiés préfèrent aller en Angleterre où ils peuvent travailler beaucoup plus vite et plus facilement», observe Aziz, un Irakien récemment régularisé. En Grande-Bretagne, ils pourront prétendre à un hébergement et à une allocation hebdomadaire.

Du côté des ONG impliquées à Sangatte, on soupire. «Le centre illustre parfaitement l'urgence d'harmoniser les politiques d'asile au niveau européen.» Les réfugiés sont les premiers à se méfier. «Déposer une demande d'asile, c'est prendre le risque - ce qui est interdit - de ne plus pouvoir faire de demande ailleurs. Nous devons donner nos empreintes digitales et, à cause du système «Euro-dac»I, on se trouve fiché dans les autres pays européens», observe Aziz. Mieux vaut rester clandestin...

Bataille rangée entre réfugiés afghans et kurdes

Depuis mardi, les heurts entre réfugiés afghans et kurdes au centre de Sangatte ont fait 29 blessés, dont deux graves. Les CRS ont dû faire usage de gaz lacrymogènes pour ramener le calme. Les incidents ont débuté mardi après midi lorsqu'un Afghan a bu de l'eau directement à un robinet, ce qui a déplu à un Kurde, qui l'a frappé. Cette dispute a dégénéré en bagarre générale entre 300 Afghans et 200 Kurdes, qui se sont battus à coups de pierres et de piquets de tente. La rixe ne s'est achevée que dans la nuit de mardi à mercredi, vers 3 h. Des incidents sporadiques ont repris hier matin, provoquant l'arrivée de renforts de police. Au total, 29 personnes ont été blessées, dont deux grièvement, selon un bilan des sapeurs-pompiers hier matin. Elles ont été notamment touchées par des jets de pierres, mais il y a aussi eu des blessures par armes blanches. «Nous espérons arriver à une conciliation entre les deux communautés, mais il faut pour cela que les Kurdes parviennent à désigner des porte-parole crédibles. Or ce sont souvent des passeurs qui se portent candidats», souligne le responsable du centre. Ce n'est pas la première fois que ce genre d'incidents se produit à Sangatte, où sont actuellement hébergés 1035 réfugiés. En septembre, un réfugié a été blessé au thorax et au bras par arme blanche. Le 23 juillet, une bagarre générale à coups de couteaux avait fait une quinzaine de blessés. Selon des occupants du centre, des tensions se sont développées ces dernières semaines du fait des événements d'Afghanistan. Les plus grandes difficultés des réfugiés pour passer illégalement vers l'Angleterre du fait des mesures de sécurité prises par Eurotunnel ont également accru les tensions, notamment avec les passeurs.


La Liberté, 22 novembre 2001
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