Partis d'Estavayer, 3,5 t de dons pour des orphelins ont disparu

Deux Staviacois ont parcouru plus de 2'000 km pour acheminer 12 tonnes de marchandises en Croatie. Déposé dans l'entrepôt de Caritas Zagreb, un quart du chargement a disparu.

Deux tonnes et demie de farine, huitante kilos de sucre, 750 kg de pommes de terre, 230 litres de jus d'orange, 120 kg de pâtes alimentaires, 30 kg de café, 30 kg de riz, des pommes, des oranges, du chocolat. C'est grosso modo la marchandise qui a disparu entre le dépôt de Caritas Zagreb et les orphelinats croates auxquels elle était destinée. Une liste de 3,5 tonnes qui a pu être établie grâce au rapport de réception rédigé par la directrice de Caritas Zagreb Jelena Brajsa. Le fax est parvenu la semaine dernière à la paroisse d'Estavayer. C'est dans cette cité que commence l'histoire, peu avant Noël. Agées d'une dizaine d'années, Cristina et Elodie rêvent de livrer un peu de bonheur à des orphelins. Épaulées par leurs parents et des membres de la paroisse catholique, les deux fillettes récoltent du matériel. En quinze jours, quelque 140 m3 d'habits, de matériel scolaire, de couvertures, de boissons et de nourriture sont réunis. Les douze tonnes de marchandise sont triées, étiquetées et placées dans un camion que conduira Rito Mota, le papa de l'une des petites filles. Accompagné de Jocelyn Rey, un ami, le transporteur professionnel prend la route quelques jours avant Noël. Direction Zagreb en Croatie.

Le convoi est destiné aux orphelinats que gère sur place Caritas Zagreb. Des centres d'accueil que patronnent depuis plus de dix ans les Soeurs de Nevers de la pouponnière de Givisiez. La route est longue: Grand-Saint-Bernard, Trieste, la Slovénie et enfin la Croatie. Faute d'autorisations adéquates, les problèmes aux douanes se multiplient. Après des heures d'attente, les transporteurs parviennent enfin aux environs de Zagreb. Il est 16 heures, la nuit est tombée. "De la douane, on nous a conduits dans un dépôt, près d'une gravière", raconte M. Mota. D'entrée, les deux transporteurs sont surpris: "Nous avons dû attendre à l'extérieur de l'entrepôt, qui était bondé de matériel. Dehors, il y avait des dizaines de cadres de lits, des chaises toilettes, des lavabos, des baignoires neuves, tout ça à la pluie."

Les deux hommes déchargent le matériel dans le hangar. Les denrées alimentaires sont déposées dans un camion portant, selon ces derniers, des plaques hongroises. "Ils ont jeté les sacs d'habits et les jouets, parfois en les perçant", se souviennent les Staviacois. "La nourriture avait l'air de les intéresser davantage. Après avoir consommé plusieurs berlingots de jus d'orange, les collaborateurs de Caritas en placent une grande quantité dans une jeep. Plusieurs paquets sont chargés sur des cadres de lits et posés à l'extérieur du hangar. "On ne nous a rien offert, pas même une tasse de café, alors qu'on n'avait rien mangé depuis 24 heures. Et on est reparti sans avoir pu visiter les orphelinats. " Pourquoi ne pas s'être manifesté? "Ils ne parlaient pas français et je ne comprends pas l'allemand. "

Amers, Rito Mota et Jocelyn Rey ne comprennent pas pourquoi ils ont été reçus dans l'indifférence la plus totale. "On se fout de l'humanitaire", lancent-t-ils avant de s'interroger sur l'honnêteté des collaborateurs qui les ont reçus. "Je ne mets pas en doute la loyauté de la directrice de Caritas Zagreb", précise Rito Mota. "Je veux savoir ce qu'ils ont fait avec les dons."

Dans son rapport de réception, la directrice de Caritas Zagreb indique que les 50 litres de jus d'orange qui ont été amenés sont périmés depuis avril 2002. Un membre de la direction de l'entreprise broyarde qui a fourni les berlingots soutient que les stocks sont régulièrement contrôlés. "On ne peut certifier à 100 % que la date de péremption de la boisson n'était pas échue. Mais c'est très peu probable", affirme-t-il. "De plus, cet assortiment faisait partie d'un lot qui a été distribué pour des manifestations ici en Suisse et nous n'avons eu aucune réclamation."

Pour Soeur Brigitte de la pouponnière de Givisiez, il aurait été préférable de ne pas acheminer de denrées alimentaires. "M. Mota n'a pas suivi mes conseils", regrette-t-elle. Mais comment expliquer qu'une partie des dons ne soient pas parvenus aux orphelinats? Soeur Brigitte: "Je connais le sérieux des gens qui travaillent là-bas. La directrice est en place depuis trente ans. Mais je vais la contacter pour éclaircir cette question. La lettre, qui fait état des quantités reçues, a été rédigée dans la hâte et envoyée à une heure du matin le 24 décembre. Je ne sais pas ce qui s'est passé. M. Mota parle d'un camion qui a emmené une partie des denrées alimentaires. Il faut éclaircir tout ça."

Caritas Zagreb fêtera cette année son 70e anniversaire. Cet organisme de l'Eglise catholique prend en charge 20 nouveau-nés, 40 enfants en âge préscolaire, 110 enfants en classe primaire, 60 enfants qui suivent des classes spécialisées et 107 enfants gravement atteints dans leur santé. Les pensionnaires occupent cinq maisons sises aux environs de la capitale croate. "Tous ces enfants sont victimes de la guerre et portent des séquelles plus ou moins graves", témoigne Sueur Brigitte. Caritas Zagreb soutient également 60 enfants gravement handicapés, en atelier ou en classe externe, ainsi que 150 personnes âgées ou malades qui vivent en home. Les Sueurs de Nevers de la pouponnière de Givisiez sont en contact depuis bientôt dix ans avec Caritas Zagreb. Les religieuses ont visité les orphelinats à sept reprises. Leur dernière visite remonte au mois de mai 2002. "Quelques jours avant notre départ est parti un camion militaire avec une remorque chargée de 550 cartons", raconte Soeur Brigitte. Acheminé de Glaris, le convoi est arrivé à bon port. "Sur place, nous avons constaté que les couvertures, pulls, linges de lit, anoraks, etc., étaient entre les mains des enfants". Au travers de groupes fribourgeois de l'ACAT (Action des chrétiens pour l'abolition de la torture), la pouponnière de Givisiez parraine des enfants croates depuis 1994. "Nous avons notamment aidé une fillette de dix ans qui, à cause d'un choc psychologique, ne parlait plus. Elle a aujourd'hui vingt ans et se porte très bien. Caritas tente de faire de ces enfants des adultes indépendants."

Caritas Suisse promet de réagir Peut-on prévenir les détournements d'aide humanitaire? Le label de qualité ZEWO (pour Bureau central des oeuvres de bienfaisance) peut être une protection. La fondation de Zurich accorde ce label aux institutions d'utilité publique qui respectent ses directives, notamment la présentation des comptes et la transparence des activités. Ce contrôle a toutefois ses limites: "Si des vêtements qui arrivent sur place sont détournés, il est difficile tant pour nous que pour (organisation humanitaire de s'en rendre compte", reconnaît Ariouscha Davatz, responsable du service d'information au ZEWO. Pour bénéficier du label, les institutions doivent posséder un siège en Suisse. C'est le cas de Caritas Bosnie. Contrairement à sa soeur de Zagreb, elle est représentée à Berne par Maja Hürlimann. Y a-t-il des règles à observer pour s'assurer de l'arrivée à bon port des dons? "La marchandise est réceptionnée en Bosnie par deux de nos délégués suisses qui travaillent sur place avec des collaborateurs locaux", répond la responsable. Une manière efficace d'éviter les détournements. Bien qu'elle craigne de ne pas pouvoir intervenir, Maja Hürlimann a promis de contacter Caritas Bosnie: "Je vais leur demander de prendre contact avec Zagreb et de voir ce qui s'est passé."


Cathy Crausaz, La Liberté, janvier 2003
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