Quel rôle joue l'aide humanitaire en Angola?

Pour la première fois depuis trente ans, bonnes nouvelles de l'Angola. Ce pays d'Afrique australe, détruit par une des plus longues guerres civiles du XXe siècle, est enfin entré dans un processus de paix avec la signature d'un cessez-le-feu entre le gouvernement et l'Unita, le mouvement d'opposition armée dont le leader était Jonas Savimbi. Celui-ci avait fondé son Union pour l'indépendance totale de l'Angola (Unita) à Champex, en Valais, en 1966.
Les esprits chagrins ne se priveront pas de rappeler que des cessez-le-feu antérieurs n'avaient pas empêché la guerre civile de se poursuivre. Cette fois-ci, cependant, l'Unita a signé l'accord après la mort au combat de son chef charismatique. En outre, la démobilisation et le désarmement des rebelles se déroulent raisonnablement bien, et, surtout, le cessez-le-feu est grosso modo respecté depuis plusieurs mois.
La première mauvaise nouvelle est le drame humanitaire qui se joue sur le Planalto à la suite de la débandade de l'Unita. Des centaines de milliers de personnes qui vivaient sous le contrôle du mouvement rebelle osent maintenant quitter les forêts où elles vivaient, totalement démunies. Ces populations étant dans un état nutritionnel catastrophique, une aide alimentaire est urgente. Impossible pour les humanitaires, donc, de délaisser l'Angola malgré le cessez-le-feu.
Ces femmes et ces enfants qui constituent l'essentiel de ces populations sont pour la plupart séparés du reste de leurs familles, la guerre ayant fait éclater les cellules familiales. Il est indispensable d'essayer de leur faire retrouver leurs parents. Le CICR, dont c'est une des spécialités, s'attache à recueillir les données pour permettre aux familles de se reconstituer. Travail long, qui demande beaucoup de patience, mais déjà couronné par de premiers résultats.
Le cessez-le-feu ne coïncide donc pas, pour beaucoup d'Angolais, avec la fin du cauchemar. Les conséquences de la guerre continuent de les accabler, ce qui explique la présence et l'action intensive des organisations humanitaires. Mais il faut ensuite bien comprendre l'enchaînement des causes du drame humanitaire qui touche aujourd'hui des centaines de milliers d'Angolais. Depuis le début de la guerre civile, les populations civiles ont été l'enjeu et la principale cible des combats. Chacune des parties, nous en avons été le témoin, a cherché à faire souffrir les populations sous le contrôle de l'autre partie.

Terreur organisée
L'Unita a constamment terrorisé les villages sous contrôle gouvernemental, et le gouvernement a procédé à des déplacements forcés de populations sous contrôle de l'Unita. En outre, l'accès aux populations en zone Unita était interdit aux humanitaires. Les organisations qui ont tenté d'enfreindre les instructions gouvernementales ont eu la vie dure. Pour le gouvernement, l'aide humanitaire devait être une arme dans ses mains pour éloigner les gens du contrôle de l'Unita et ainsi affaiblir l'opposition armée. Or, la finalité de l'aide humanitaire ne devrait être que de subvenir aux besoins des populations victimes et non d'être instrumentalisée à des fins psychologiques, politiques ou militaires. Ici réside toute la difficulté des stratégies humanitaires: où que ce soit, il s'agit d'être proche de toutes les victimes d'une guerre en gardant son indépendance et en préservant un minimum de sécurité pour les opérateurs du terrain.
Les squelettes ambulants qui, ces temps, sortent des forêts angolaises, ne sont rien d'autre que l'effet des politiques meurtrières menées durant la guerre. Ces populations aux abois sont celles auxquelles le gouvernement angolais refusait l'accès des humanitaires.
Reste une question embarrassante: pourquoi le gouvernement de Luanda, qui dispose de ressources minières et pétrolières très importantes, ne vient-il pas lui-même en aide à ces populations souffrant d'une famine extrême? Ce sont là encore des raisons politiques qui mènent à cette situation paradoxale. Comment l'expliquer sinon par la crainte du gouvernement qu'une prise en charge systématique de l'ensemble des besoins alimentaires de ces populations proches de l'Unita ne contribue à ressusciter celle-ci. Cette politique constitue la deuxième mauvaise nouvelle pour le peuple angolais.
Ainsi, pour préserver la survie de ces civils, les humanitaires n'ont d'autre choix que d'essayer de sauver de la faim un maximum de personnes tout en sachant que la responsabilité politique en reviendrait en principe aux autorités angolaises. Sans une réponse plus adéquate et responsable de la part des autorités de Luanda, on assistera à une perversion croissante de l'aide humanitaire extérieure qui favorise une déresponsabilisation de ce gouvernement.


Paul Grossrieder, ancien directeur du CICR, La Liberté, 29.08.02
Création site internet de MDL.ch
Publicité et Marketing de RAA.ch